À l’Ouest, un mastodonte en gestation
Les deux groupes coopératifs du Nord-Ouest, Agrial et Terrena, amorcent un projet de rapprochement. Une annonce qui interpelle, et qui soulève beaucoup de questions, notamment sur la gouvernance et l’activité lait. Par Marion Coisne
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«Les coopératives agricoles Terrena et Agrial, représentant ensemble 30 000 agriculteurs-adhérents et 12,7 Mds€ de chiffre d’affaires en 2024, ont annoncé l’étude d’un projet de rapprochement stratégique. » Le communiqué du 22 septembre dernier a lâché une bombe. Peu d’observateurs s’y attendaient. Si Xavier Hollandts, professeur à la Kedge Business School et auteur de l’ouvrage Gouverner les coopératives agricoles, n’a pas été surpris par l’irruption d’un tel projet de rapprochement, « car on voit que le modèle économique des coopératives agricoles est en souffrance », l’identité des deux acteurs l’a interpellé.
« Aucune des deux n’est en mauvaise santé financière », abonde le consultant Olivier Frey, au contraire de Maïsadour et Euralis par exemple. Terrena comme Agrial sont des groupes polyvalents, avec une orientation lait plus forte pour le normand. Avec 17 500 collaborateurs, il affiche en 2024 un chiffre d’affaires de 7,1 Mds€, porté par les branches lait (2,9 Mds€), agriculture (1,8 Mds€), légumes (1,4 Mds€), viandes (650 M€) et pommes et boissons (400 M€). Chez Terrena, qui compte 13 000 salariés, les 5,6 Mds€ sont réalisés avec les pôles agriculture et filières (2,2 Mds€), carné (Elivia, 1,3 Md€), volailles (Galliance, 1 Md€), les « autres filières » (320 M€) et les « alliances » (825 M€). Ce dernier pôle se composant de Laïta et du lapin. Le groupe coopératif ligérien n’a plus d’activité légumes. Ses producteurs de plein champ ont rejoint Océane début 2022.
« Des crises à répétition »
Ensemble, les deux entreprises, en cas de fusion, donneraient naissance à un géant de 12,7 Mds€, le plaçant à la première place de notre palmarès Agrodistribution, en chiffre d’affaires et en effectif, loin devant Vivescia, qui occuperait la deuxième marche du podium, avec un chiffre d’affaires de 4,15 Mds€. À titre de comparaison, le groupe InVivo pesait l’an passé 11,7 Mds€ et 15 288 salariés. « Ce sera un mastodonte, estime Xavier Hollandts. À 12 Mds€, on a la taille d’un groupe du CAC 40. Mais il faut remettre en perspective : on est encore trois à quatre fois moins grand que de grands groupes coopératifs ailleurs. »
Pour justifier leur décision, les deux groupes coopératifs évoquent d’ailleurs « des crises à répétition, une inflation persistante et une concurrence accrue en Europe », avec des acteurs de la distribution et de la restauration qui « poursuivent leur consolidation ». De quoi rééquilibrer le rapport de force ? Xavier Hollandts est sceptique : « Leclerc seul pèse plus de 45 Mds€. » Quid d’économies, en misant sur des synergies ? Là aussi le professeur de la Kedge Business School est prudent : que l’entreprise soit une coopérative ou non, « généralement 1 + 1 = 2, et parfois moins de 2 ». Et les fusions ont un coût, « de coordination, de structuration, pour aligner les pratiques… Elles n’impliquent pas un gain automatique à court terme. »
Un veto peu probable
Reste aussi l’épineuse question de la gouvernance, sur un territoire qui couvrira quasiment un tiers de l’Hexagone. Avec un lien qui pourrait se distendre avec les agriculteurs. « C’est une crainte que peuvent avoir les adhérents, qui n’est pas totalement injustifiée », reconnaît Xavier Hollandts. Olivier Frey est plus positif : « Ce sont deux entreprises issues de fusion, elles ont conscience de ces questions. » Reste à rassurer les producteurs. Chacun des groupes va prendre son bâton de pèlerin dans l’année à venir pour expliquer le projet. Car avant d’envisager la suite, les adhérents devront donner leur feu vert. Y a-t-il une probabilité qu’ils s’y opposent, comme l’ont fait ceux de Biocer en 2023, promis à un mariage avec NatUp ? Pour les différents experts interrogés, la possibilité est mince. « Les arguments pour la fusion sont entendus je pense par les adhérents », estime Xavier Hollandts. Même son de cloche de la part d’Eric Schlusselhuber, codirigeant du cabinet Triangle. « Théoriquement c’est possible, mais la probabilité est très faible si la fusion est bien préparée. » Côté agrofourniture, les deux entités sont déjà réunies dans Agrihub, à travers Catelys pour Terrena.
Autre étape à passer : l’Autorité de la concurrence, qui décidera si le nouveau groupe doit se séparer de certaines activités. « Sur le papier, les deux pièces du puzzle ont l’air de bien coller », analyse Xavier Hollandts. Dans leur communiqué, Agrial et Terrena mettent en avant trois « fondements » guidant leur projet : « soutenir le développement des productions végétales et animales et renforcer notre proximité », « construire des filières agricoles et agroalimentaires créatrices de valeur pour tous » et « accompagner la transition agroécologique au plus près des territoires ». Interrogé sur le sujet fin septembre, Antoine Hacard, président de La Coopération agricole Métiers du grain, s’en est félicité : « Ces rapprochements sont systématiquement des projets d’entreprises pour créer de vrais leaders régionaux ou internationaux dans l’intérêt des adhérents. Je n’y vois que du positif. Le danger, ce serait l’immobilisme. »
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